LA VIE DE SAINTE RAGEDONDE

         La Vie de Ste Radegonde nous est connue principalement par 2 témoins oculaires :

Fortunat, intendant puis aumônier du monastère et confident de Radegonde, et Baudonivie, moniale du monastère.

     Radegonde était la fille du roi Berthaire qui gouvernait la Thuringe avec ses deux frères. A la suite d’une violente lutte fratricide à laquelle les rois francs mirent fin, Radegonde eut à endurer l’assassinat de son père et de plusieurs de ses proches, puis l’exil car la jeune princesse et son frère devinrent alors captifs du roi franc Clotaire 1er et emmenés à Athies au royaume de Soissons.

 Clotaire, séduit par les qualités de la jeune fille, projeta de l’épouser plus tard – bien que déjà marié et père de 4 fils – aussi il lui fit donner une éducation avec une solide formation intellectuelle et religieuse, digne du rang qu’elle aurait à occuper. Radegonde, profondément marquée par les drames familiaux de son passé, ne trouvait un appui qu’en Dieu seul et désirait lui consacrer sa vie. Elle aimait lire la Vie des Saints qu’elle cherchait à imiter, souhaitant le martyre pour être unie au Christ.

 Contre son gré et après une tentative de fuite, Radegonde devint l’épouse de Clotaire. Sa vie auprès du roi fut exemplaire, exerçant une heureuse influence sur son époux, et elle s’acquitta à merveille de son métier de reine, portant intérêt à tous les membres de son peuple. Elle s’adonna à des œuvres caritatives et profita des dons qu’elle recevait du roi pour les distribuer aux pauvres, aux églises ; elle prenait soin des malades et veillait avec sollicitude sur le sort des prisonniers s’efforçant d’obtenir la grâce des condamnés à mort. Fidèle à la prière, à la liturgie des heures, et menant une vie toute simple et mortifiée au milieu des fastes royaux, elle s’attirait souvent les reproches de son époux, mais celui-ci, très attaché à sa reine, lui pardonnait à chaque fois.

 Au bout d’une douzaine d’années, une nouvelle épreuve atteignit Radegonde en plein cœur : son frère venait d’être assassiné par ordre de Clotaire ! Le jeune homme avait demandé à rejoindre les membres de sa famille à Constantinople ; il est possible que Clotaire ait redouté de la part du jeune prince thuringien un complot contre les Francs, à titre de revanche. Radegonde décide aussitôt de quitter Clotaire. Celui-ci la laisse partir et l’envoie à Noyon auprès de Médard, son ancien professeur devenu évêque du lieu. Elle entre dans la basilique avec sa suite et demande au prélat de la consacrer à Dieu comme diaconesse. Médard hésite – consacrer la reine ! – mais, sur l’ordre réitéré de Radegonde, s’exécute. Radegonde part avec ses suivantes en pèlerinage à Tours pour se recueillir au tombeau de St Martin, puis à Candes, lieu du trépas de ce saint évêque. Elle s’établit à Saix, en Poitou, dans une « villa » que lui avait donnée le roi. Se sentant responsable de la mort de son frère resté auprès d’elle à sa demande instante, elle va désormais mener une vie de pénitente en expiation pour elle-même et pour Clotaire.

 Radegonde séjourna quelque temps à Saix, se dévouant auprès des pauvres et des lépreux ; mais le bruit ayant couru que le roi voulait reprendre son épouse, elle partit à Poitiers se mettre sous la protection de St Hilaire. Elle décide avec le soutien de l’évêque St Pient d’y construire un monastère dont Clotaire va permettre la réalisation à ses frais.

 Vers 552, Radegonde et ses filles entrèrent dans le monastère Ste Marie pour s’y fixer. Ne voulant pas, par humilité, être à la tête du monastère qu’elle venait de fonder, Radegonde désigna Richilde, l’une de ses filles, bien qu’encore très jeune, comme supérieure ; sa décision fut ratifiée par une élection. « Radegonde se soumit à son pouvoir, elle et ses biens ». Le monastère possédait alors des terres et des fermes d’exploitation agricole données par Clotaire et nécessaires pour faire vivre la communauté. Ce fut Radegonde qui assura la direction spirituelle des moniales, qui restèrent en quelque sorte « ses filles », et leur formation par son enseignement, ses exhortations, sa prédication quotidienne – elle possédait une vaste culture tant biblique que patristique – et par sa vie qui était un modèle pour toutes.

 Radegonde apprenant un jour, que Clotaire venait en pèlerinage à Tours au tombeau de St Martin – démarche pénitentielle ou ruse ? – elle écrivit aussitôt à l’évêque Germain de Paris qui accompagnait le roi, afin d’empêcher ce dernier de venir à Poitiers la reprendre si telle était son intention, ce que Dieu ne permettait pas !  Germain lut la lettre à Clotaire ; celui-ci fut contraint d’accepter et, touché par le repentir, implora le pardon de la reine par l’intermédiaire de cet évêque venu tout exprès à Poitiers. Le pardon fut accordé volontiers. Clotaire, très éprouvé de cette séparation définitive, n’en survivra pas longtemps.

 La communauté, en ses débuts, aura une aide providentielle en la personne de Venance Fortunat. Ce poète italien chrétien grand connaisseur des poètes classiques et de l’Antiquité chrétienne, venu en Gaule vénérer St Martin, arrive à Poitiers où il va résider à la demande de Radegonde ; il accepte fort volontiers d’être son messager et le gérant des biens du monastère. Une profonde amitié naîtra et s’établira entre Radegonde, Richilde et lui.  Radegonde s’enquit d’une Règle pour son monastère. Elle envoya Fortunat en Arles ; il était porteur d’une lettre signée de Radegonde et de Richilde destinée à l’abbesse d’Arles, lui demandant de bien vouloir remettre au messager un exemplaire de la Règle de St Césaire pour l’étudier. La Règle de St Césaire, austère, convenait bien à cette nature vertueuse ; elle en suivait déjà elle-même plusieurs points bien au-delà des prescriptions requises en ce qui concerne les pénitences. Elle s’était fait construire, dans l’enceinte du monastère, une cellule où elle vivait en recluse tout le temps du Carême. St Fortunat, son confident, nous apprend les pénitences extrêmes qu’elle s’infligeait pour s’unir par amour à la Passion du Christ.

 Sa journée était rythmée par l’office liturgique – chant des psaumes, lectures – méditation, lecture personnelle, travail. Toujours prête à servir ses sœurs, même dans les besognes les plus humbles, elle assurait sa semaine à la cuisine et autres travaux ménagers – elle confectionnait elle-même des pains d’autel (appelés ‘oublies’) pour le monastère et les églises.

 La Règle de St Césaire fut mise en pratique quelques années et, dès que Richilde eut atteint l’âge requis, l’évêque Germain de Paris la consacra abbesse ; elle reçut pour nom de religion « Agnès ». Fortunat composa un poème dédié à Agnès au cours duquel il souligne l’humilité de Radegonde choisissant délibérément de vivre sous le pouvoir de celle qui jusque-là avait été « sa fille ».

 Radegonde, dans son ardent amour pour le Christ, désirait pour elle-même et ses filles un signe visible, permanent, de sa présence. En 569, elle obtint de l’empereur Justin II, avec la permission du roi Sigebert, l’un de ses beaux-fils, une parcelle du bois de la Croix que Ste Hélène avait fait transporter à Constantinople. L’évêque de Poitiers, Marovée, contrairement à ses deux prédécesseurs, ne s’occupait pas du monastère, se sentant supplanté par la reine. Il refusa l’entrée de la Relique dans la ville. Ce fut l’évêque de Tours, Euphrone, accompagné du clergé poitevin, qui procéda à la mise en place de la Relique dans le monastère. L’arrivée de la Relique se fit au chant du Vexilla Regis et du Pange lingua, composés par Fortunat pour la circonstance. Radegonde fut heureuse de recevoir ce Bois précieux qui pourrait assurer le maintien de son monastère et le salut de la patrie. Le monastère Sainte-Marie devint alors monastère Sainte-Croix. Radegonde fit rédiger par Fortunat de très beaux poèmes en l’honneur de la Croix, dont certains passeront dans la liturgie. Fortunat adressa de la part de Radegonde, à l’empereur Justin II et à l’impératrice Sophie, une épître de remerciement en forme de poème.

 N’ayant pour le monastère aucun appui de la part de Marovée, Radegonde et Agnès vont en Arles exposer à l’abbesse leur situation vis à vis de l’évêque et l’entretenir au sujet de la Règle de St Césaire. Sur le conseil de l’abbesse de se mettre sous la protection du roi Sigebert, Agnès, seule semble-t-il, poursuivit son voyage jusqu’à Metz pour rencontrer le roi. Elle obtint sa protection qui concernait à la fois le monastère et la Règle de St Césaire stipulant l’indépendance vis à vis de l’évêque. Le monastère pouvait cependant compter sur d’autres évêques, dont l’évêque métropolitain Grégoire de Tours, successeur d’Euphrone et ami de Radegonde et d’Agnès. Les relations avec cet évêque étaient facilitées par Fortunat, son grand ami, toujours prêt à le rencontrer si besoin était.

 A la mort de Clotaire, le royaume franc fut partagé entre ses quatre fils. Radegonde suppliera souvent ses beaux-fils de mettre fin à leurs guerres fratricides qui mettaient la Gaule en danger. Pour obtenir la paix, Radegonde et toute la communauté priaient et faisaient pénitence, ce qui valut à la reine moniale d’être invoquée sous le vocable ‘Mater patriae’.

 Vers la fin de sa vie, pressentant de graves difficultés internes et externes pour son monastère, Radegonde rédigea une lettre testamentaire à tous les évêques, sous la forme d’une supplique qui se termine de façon pathétique : « Ramenez vos regards vers Celui qui, du haut de la Croix, a confié la glorieuse Vierge sa mère au saint apôtre Jean, afin que, de la même manière que le mandement du Seigneur a été accompli par Jean, de même le soit par vous celui que moi – indigne et humble – je confie à vous, mes seigneurs, pères de l’Église et hommes apostoliques »  (Histoitre de l‘Abbaye Sainte-Croix de Poitiers, Société des Antiquaires de l’Ouest, 1986, p.57). Madame Labande-Mailfert en donne ce commentaire : « Le ton est constamment celui d’une reine, messagère de la volonté divine, et jusque dans l’étonnante image finale où elle s’identifie au Christ pour confier son monastère, personnifié par Marie, aux évêques comparés à Jean au pied de la Croix. Sans se départir de sentiments de grande humilité, elle est entraînée par le zèle de Dieu » (id. p.58).

 Par sa vie toute donnée au Seigneur, Radegonde mérita, un an avant sa mort, d’être honorée de la vision du Christ. Alors qu’elle était dans sa cellule, le Christ lui apparut sous l’apparence d’un beau jeune homme qui lui déclara : « Toi, pierre précieuse, sache que tu es la 1ère gemme de mon diadème » (Baudonivie, Vita II). Par ces mots, Radegonde eut l’assurance d’être au nombre des élus qui forment dans le ciel la couronne des saints. La piété populaire a vu dans cette couronne le diadème que portait le Christ ! En quittant Radegonde, le Christ aurait laissé dans la pierre l’empreinte de son pied. Cette pierre appelée « Pas de Dieu » a été transportée à l’église Ste Radegonde.

 La mort de Radegonde eut lieu le mercredi 13 août 587. Son départ fut vivement ressenti par les moniales qui pleurèrent leur mère spirituelle. L’évêque Marovée étant absent – il visitait ses paroisses – Fortunat fut chargé de prévenir l’évêque Grégoire de Tours, lequel vint aussitôt au monastère et, nous dit Baudonivie, « lorsqu’il était parvenu au lieu où le saint corps gisait, il avait vu un visage angélique sous l’apparence d’un visage humain » (Baudonivie, Vita II). La communauté était en prière autour du lit funèbre. Trois jours passèrent, Marovée n’était pas de retour !… Alors ce fut Grégoire de Tours qui procéda à l’ensevelissement dans un tombeau à l’église Sainte Marie-hors-les murs, ainsi que l’avait demandé Radegonde dans sa lettre aux évêques. Grégoire de Tours laissa à Marovée le soin d’accomplir le dernier devoir : celui de fermer le sarcophage.

 De nombreux miracles, tant durant sa vie qu’après sa mort, attestent la sainteté de Radegonde. De nos jours encore, des intentions diverses sont confiées à son intercession : des ex-voto, messages d’action de grâces, fleurs déposées à son tombeau témoignent de faveurs obtenues (guérison, réussite à un examen etc…) Son culte s’est répandu bien au-delà du Poitou et de notre pays.

 A l’ombre de la Croix, la communauté actuelle garde vivante l’exhortation que Radegonde adressait souvent à ses filles, signe de son attachement :

« Je vous ai choisies pour mes filles, vous ma lumière, vous ma vie, vous mon repos et toute ma félicité (…). Agissez avec moi en ce siècle afin que dans le monde futur nous vivions dans la joie ; servons le Seigneur dans la crainte, dans la plénitude de la foi et de l’élan du cœur » (Baudonivie, Vita II).

Sœur Solange